Mon histoire commence au fin fond d'une auberge délabrée, ouverte aux quatre vents et aux trois pluies, dans une contrée lointaine et oubliée, mère patrie des Fécas : le Fecazhatztan.
Là, une jeune serveuse et sa petite soeur tentent de remettre sur pied le seul bien familial qui leur reste, après la mort tragique de leurs parents, emportés par la terrible fécarabistouille, communément appelée la maladie du mensonge. Terrible gangrène où le malade commence à délirer, s'invente des mondes et des milliers de vies, jusqu'à en devenir complètement dément et perdre la tête définitivement. Il est alors une proie facile pour l'autodestruction.
Rabine (Feca Rabine), puisqu'elle se nomme ainsi, était dotée de biens étranges pouvoirs. Les gens du pays disaient d'elle qu'elle avait la main verte. Elle était capable de préparer des potions extraordinaires rien qu'avec un pétale de rose et une graine de tournesol.
Un jour vint où l'armée royale, s'en allant guerroyer au Royaume de Sufod, s'arrêta dans ces contrées. Une escouade, que bien plus tard on appelera les chevaliers de l'ordre du malt, rentra même dans la vieille brasserie. En particulier, un fier guerrier du nom de Mikaze (Féca Mikaze) capable de combattre à la seule puissance de son bâton de frêne, une dizaine de Kylibellules, ces féroces amazones aux ailes tranchantes comme la lame des épées de Latem Sa, le forgeron.
Soudain, entre deux chansons grivoises et trois tonneaux d'une bière amère *décidément dans ces contrées du sud, ils auraient bien besoin d'un brasseur digne de ce nom comme Leff Chimay, le trappiste, ou Jean Lain le bon moine* soudain donc, il la vit.
Elle sortait des cuisines avec une pleine marmite d'un délicieux met local, le Kuecokenpat, recette du célèbre cuisinier Lan Dru, mélange d'aromates, d'épices, de gelée menthe, de bave de rose sur une cuisse de dragodinde, le tout délicatement arrosé de sporme de champ-champ.
La pièce entière baignait dans ces délicates effluves.
Rabine était chaussée des mêmes bottes rouges que son fils portent depuis toujours pour honorer sa mémoire.
En arrivant à la table de Mikaze, elle croisa le regard du jeune guerrier
*cling - étincellement des dents* *flip flap - battements saccadés des paupières* *zip clang gling splaf - soupière qui tombe et se brise*
La honte se lut sur le visage de Rabine, mais Mikaze se précipita à son secours et plus rien ne les sépara.
Ils passèrent le reste de la soirée dans un coin sombre de la taverne pendant que les autres guerriers, à la manière des Xélors, continuaient d'écluser sans retenue l'infame breuvage, ersatz de bière.
L'atmosphère devenait lourde et nauséabonde simplement du fait que le féca soulé, ça fait péter, forcément.
Quand le dernier des valeureux combattants s'avachit lourdement, la tête s'affalant dans une carcasse de bwak encore pleine, les deux amoureux s'éclipsèrent dans la nuit froide à la recherche de quelques instants magiques volés au temps.
Je devais naître 27 mois plus tard, ce qui est un peu tôt pour un féca.
Très vite, la vie ne me fit pas de cadeau. Mon père ne revint jamais de sa bataille en Sufod. Un messager noir de l'ordre des Krokmaur, Têt Denteremen d'après ce que me dit ma mère, vint un jour frapper à la porte de l'auberge. Il apportait avec lui, en plus de son affreux parfum de formol, la nouvelle annonçant que mon père avait péri dans les plaines de Setomidis dans le Sufod ancéstral.
Vint alors le temps des larmes et de la douleur. Ma tante (surnommée Féca Kawete à cause de sa silhouette caractéristique) s'occupait désormais seule de l'auberge, ma mère passant ses journées enfermée dans sa chambre. Et malheureusement, en ces temps de guerre, une veuve et une célibatire attisent le désir chez les guerriers en mal de femme. Caché derrière une imposante pile de fûts, j'assistais à la fin tragique de mes aieux, poussant leurs derniers soupirs entre les mains meutrières de soudards avinés.
Dès lors, je devins un enfant des ruelles, apprenant mile cabrioles pour amuser le public, mille contes pour captiver l'attention, parcourant des heures durant des espaces arides pour trouver un peu d'eau, de chaleur et de pain.
Les années ont passé mais moi, Kanuu Kominver, je n'ai jamais renoncé. J'ai toujours réussi à m'en tirer pour honorer au mieu le nom de mon père. Je fus tour à tour empêcheur de tourner en rond chez Marie Acarey, pétrisseur de miches au "Grand qu'à l'bar", avaleur de couleuvre au Zoo Djak, confiseur de dragées chez Fù Ka. J'ai même été tireur de verre dans le nez chez mon cousin Gébu Komuntrou. Jusqu'au jour où je réussis enfin à me faire enroler dans la légion. J'y combattis avec bravboure et panache de longues années durant à l'extrême satisfaction de mes supérieurs. A chaque combat, je voyais l'étoile de mon père briller dans le ciel et je me sentais fier de sa reconnaissance.
Puis forcément, je devins un peu trop vieux pour combattre et ma carrière militaire s'acheva, non sans honneur. Cependant, l'honneur ne nourrit pas et je devins de moins en moins bon à rien et de plus en plus mauvais à tout. La descente aux enfers recommença.
Je croupissais sur mon bâton à l'angle de la place du marchand de ressources d'Astrub quand je vis un étrange bonimenteur extirper de son bermuchausse des tofus devant la foule aussi ébahie qu'escroquée, puisque bien évidemment, le bougre était comme moi quelques années plus tôt : Il fallait bien manger, peut importe à la fin si le bout de pain acheté avait le goût amer de la duperie. Cela ne se voit plus dans l'estomac.
A la fin de la représentation, alors qu'il roulottait convenablement ses tofus de mousse pour le prochain spectacle, je décidai d'aller le voir :
"Dis donc l'ami, tu les as bien eu avec tes tofus de mousse !"
Je voyais qu'il me ragardait avec pitié mais aussi une certaine fascination, certainement dû aux rides laissées par des années de combats.
"Tu m'as l'air bien fatigué l'ancêtre, me lança-t-il.
- Je suis peut être trop fatigué de rester ici à baver sur mon bâton..."
Mon inconnu marqua alors une pause comme pour encore mieux me jauger et appréhender mon sous entendu.
"La vie d'artiste est difficile l'ancêtre. Je suis tout le temps sur la route et j'ai déjà du mal à nourir ma seule bouche.
- Je ne te demande pas de nourir la mienne, nondidju, lançais-je insurgé en frappant le sol de mon bâton, mais les routes d'Amakna ne sont pas tout le temps sûres et j'ai servi dans les légions des Gawdeswiss du commandant Keup La, fils de Rico La le Grand.
- Tu m'amuses l'ancêtre, j'ai justement un frère qui s'appelle Keup
- Serait-ce ?
-Ah ah ! Bon dieu je ne crois pas non ! Mais je pense que ton histoire l'intéresserait. Allez viens, on va aller lui raconter. Au fait, moi c'est Karttikeja. Mais tout le monde m'appelle Karti.
- Moi c'est Kanuu, mais tout le monde m'appelle Kanuu !
- Ah ! Allez, mettons nous en marche avant que les gens ne s'apercoivent de ma supercherie !"
Et c'est ainsi qu'une seconde vie devait commencer pour moi. Je fis effectivement la connaissance de Keup (je compris alors le rire de Karti) puis bien vite nous fumes toute une troupe à écumer le moindre recoin de l'univers avec pour objectif commun : trouver enfin un foyer pour nous, un foyer à nous.